Genèse d'un géant révolutionnaire (II)

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L'éventail que nous présentons ici n'est, comme on l'imagine d'après nos propos précédents, que l'un des exemples de ce mélange d'un "fond" commun "géant" et d'une planche d'éventail de module "normal". Sur le fond ici présenté, une rapide recherche dans la littérature nous a (en 1999) montré en effet l'application des sujets suivants :
  • La destitution de Loménie de Brienne - 1788 (cf. Musée d'Art et d'Histoire, Genève, AD 236)
  • Louis XVI et Necker - 1788 (cf. Christies 25/5/1999 n° 115 ou Exposition Musée Lambinet de Versailles 1997 n° 80)
  • Le Palais Royal (1789 ?) (cf. l'Eventail 1789-1989 Lucie Saboudjian)
  • Le serment civique - 1789 (cf. Christies 25/5/1999 n° 109)
  • Eventail de la collection Duchet, 1789 (Collector's guide..., Susan Mayor, 1990)
  • sauf erreur, "La famille royale venant à Paris..." 6/10/1789 (cf. collection Maryse Volet)
  • ... et les exemples que vous aurez la gentillesse de nous montrer !!!!
D'où une constatation : ces éventails géants (et sauf exception il n'en va guère différemment semble-t-il des autres "fonds"), semblent avoir fait florès de 1788 à 1790.... et être tous français.

L'attribution faite dans Waaiers en Waaierbladen 1650-1800 d'un éventail géant uni vert aux Pays-Bas et à l'année 1795 nous surprend donc, même si Fabienne Falluel, dans Indispensables Accessoires (Galliera 1983/1984), écrit à propos d'un "Géant" représentant la "Prise de la Bastille" : "Cet éventail devrait être daté, étant donné son grand format, des années 1793/1795 plutôt que de 1789/1790".

Certes la réutilisation de planches d'éventails de petit module témoigne du caractère plus tardif des "Géants". Mais qui s'intéressait, au plus fort de la Terreur ou après celle-ci, aux sujets peu sanglants évoqués ci-contre ?
 

 Un mot du sujet...

 Ici, par exemple la disparition des "pensions", évoquée dès 1788 mais concrétisée par la fameuse "nuit du 4 Août" et l'abolition des privilèges, peut faire un sujet charmant !

 De quoi s'agit-il ?
Lors de la fameuse "nuit du 4 Août" 1789, l'assemblée nationale a décidé, entre autres abolition des privilèges, la "destruction des pensions obtenues sans titres ".
Notre éventail reproduit un abrégé du texte des  Décrets de l'Assemblée Nationale, des 4 & 5 Janvier 1790, concernant les pensions, traitemens conservés, &c. la suspension de tout paiement, même provisoire, desdites pensions, & de tous appointemens & traitemens à l'égard des françois actuellement absens sans mission expresse du gouvernement. Texte intégral ici !
Ces décrets seront suivis le 1 avril 1790 de la publication du Livre rouge où sont consignées les pensions accordée par le roi, et le 3 août 1790 de la suppression des pensions existantes au 1er janvier 1790, avec règle à observer par les intéressés pour leur rétablissement et création des "récompenses nationales".
On comprend dès lors l'inquiétude, voire le "désespoir" de certains des "pensionnaires" (on dirait maintenant "pensionnés" !).
C'est ce désespoir qu'illustre le cartel central. Seuls de bons yeux... ou l'agrandissement obtenu en cliquant sur l'éventail ci-contre permettent de bien comprendre ce dessin.
Notez bien, ci-dessous, grâce à la vue d'ensemble, la feuille de taille normale "plaquée" sur l'éventail géant


Veuillez cliquer sur le cartel central,
et sur les 2 cartouches à texte.
Pour plus d'informations (fort sérieuses, hélas !) sur ces pensions, voir : http://gallica.bnf.fr/Fonds_Tables/004/M0041873.htm

 En cliquant sur le cartel central, vous avez pu détailler le dessin. Nous y reviendrons ci-dessous. En cliquant sur les textes, vous avez pu noter que le début se trouvait à droite, et la fin à gauche !

Quelle peut en être la raison ? C'est, à notre sens, que le graveur de l'éventail a recopié un peu hâtivement son modèle, et que s'il a écrit le texte à l'envers, comme il se doit, il a omis de tenir compte que les cartels latéraux composaient une suite !

Ce "détail" n'a semble-t-il pas été remarqué jusqu'à présent. Dans son célèbre ouvrage (Fans - Foreign), Lady Charlotte Schreiber reprend le texte des deux cartouches, sans s'étonner qu'il se lise de droite à gauche. Voici la reproduction qu'elle donnait de cet éventail désormais au British Museum, avec la description faite par Lionel Cust dans l'ouvrage qui accompagnait cette donation.

Désespoir de Lady Charlotte
     

Description de cet éventail dans le Catalogue of the collection of fans and fan-leaves... de Lady Charlotte Schreiber donnée au British Museum (L. Cust, London 1890).

                  104 [S, F 55] Désespoir des Pensionnaires

                     ...In the center a group of figures, some of whom are lamenting the loss of pensions, and others jeering at them ; on the wall placards incribed : "revolution de Paris, 1790", "Avis, le Moderater l'ami du peuple " ; inscribed above " desespoir des pensionnaires ". ..On either side of the fan a short historical summary, commencing.. " quant à l'année Courante a Compter du premier janvier 1790. Suspension de payement jusqu'a premier juillet prochain" etc.

Etching, coloured by hand, mounted on plain wooden sticks.


Nous avons eu la chance, grâce à un "Curieux" concours de circonstances (les initiés comprendront !), de retrouver la feuille calque originale de ce sujet, qui a été utilisée à la fois pour des éventails de petits module, tel celui de Lady Charlotte (il nous semble en avoir vu passer au moins un autre en vente publique en 1983 ?) que, nous le voyons ici, pour c es éventails "géants".

 
Veuillez cliquer à droite ou à gauche pour voir le texte manuscrit des cartels.

 Bien entendu, comme on le voit fréquemment, le graveur, s'il a écrit les textes "en miroir" (avec l'erreur vue plus haut), a gravé l'image sur sa plaque telle qu'il la voyait sur le dessin. Elle se trouve donc inversée par rapport à celle que nous avons vue sur l'éventail. Ci dessous, vous trouverez à gauche le dessin original et à droite ce dessin inversé , comme vu dans un miroir (et donc dans le sens de la gravure) et en dessous la scène telle qu'elle figure sur notre éventail.

 
On y voit les souffrances des "pensionnaires" de divers ordres, attérrés par le nouveau décret (les malheureux ne devaient pas pressentir ce qui allait être le sort de certains privilégiés, et de beaucoup d'autres, dans les années suivantes...)
 
Regardons un peu mieux certains détails : à droite, ce couple d'aristocrates, à côté d'un panneau "Révolution de Paris 1790" et d'un autre, que nous lisons (ayant l'original sous la loupe... c'est plus difficile sur l'éventail lui même !) "Avis - Le Modérate(ur) - L'Ami du Peuple".


A terre, des feuillets : "Pension de 13000 pour avoir un procureur", "Madame - Payé 200 000" (sur l'éventail... on lit plutôt 20 000 !)
Quant au jeune savoyard assis , il tient un billet marqué "don patriotique", manifestant ainsi le renversement des situations sociales. En effet, les aristocrates ou hommes de loi perdent leurs pensions, mais les jeunes ramoneurs à la santé menacée par leur travail dans la suie reçoivent de la société une reconnaissance. Un opéra-comique fort en vogue en 1790 (et lui-même sujet de plusieurs éventails) avait d'ailleurs conquis le public à la cause de ces petits savoyards.

 
Par exception, nous donnons ici le détail dans le sens du dessin original, la reproduction de l'éventail étant inversée pour faciliter la comparaison.

Mais d'où venait le dessin que reproduit l'éventail ???
...d'une estampe conservée au Cabinet des Estampes, publiée après le 1er avril 1790 et la parution du Livre rouge.
Jean Massin (Almanach de la Révolution Française, Club Français du Livre, Paris, 1963) écrivait à ce sujet :
1er Avril 1790 : Publication du Livre rouge, contenant le montant des pensions et faveurs royales accordées aux privilégiés ; effet retentissant sur une opinion publique pourtant déjà soupçonneuse ; Necker avait tenté en vain de s'opposer à cette publication qui, de fait, va porter un coup mortel à sa popularité

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Et nous arrêtons ici cette étude... un peu aride, nous le craignons, mais qui vous aura cependant, nous l'espérons, un peu intéressés. Comme d'habitude, n'hésitez pas à nous faire part de vos remarques, critiques, suggestions... et encouragements.
Mais ne partez pas sans voir les trois éventails en un cercle de famille harmonieux, que nous sommes heureux d'avoir reformé, après plus de deux cents ans... et quelques révolutions !

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