Nous
vous montrons ici, parfois, des éventails avec lesquels nous avons vécu
pendant des années, les questions les concernant ne naissant que peu à
peu. Ici, il s'agit d'une acquisition récente, à laquelle nous n'avons
pu résister car nous voulions répondre aux questions manifestement
posées par cet éventail... et aussi parce que, pour une fois, l'objet
était à vendre près de chez nous. C'est un éventail manifestement
français par toutes ses caractéristiques. La hauteur totale est (sans surprise !) de
27 cm et la feuille large de 12,5 cm. La
feuille double est pour nous en papier vergé (mais le commissaire priseur y a vu
du parchemin) gouaché et doré avec assez large bordure dorée peut-être
rapportée. La monture "squelette" est en ivoire repercé, gravé, décoré
au vernis et doré. Elle montre au milieu de motifs floraux et en
symétrie autour d'un large vase de fleurs posé sur une table deux
jeunes femmes à houlette caressant deux chiens. Les panaches,
identiques, s'ornent chacun d'un personnage féminin, de fleurs et de
rinceaux. La rivure est ornée de deux pierres rouges facettées.
L'éventail n'est malheureusement pas en parfait état. Un brin a été
cassé, des plis coupés plus ou moins bien restaurés et l'objet a
manifestement été conservé ouvert trop longtemps, même si c'était à
l'abri de la poussière et d'une lumière trop vive, car ses couleurs
restent soutenues. Toutes ces caractéristiques témoignent en fait de
l'intérêt que ses propriétaires ont porté à l'objet, ce qui peut
manifester que pour eux il avait une signification précise.

Ce genre de représentations n'est pas inhabituel. Donnons-en deux exemples avec (ci-dessous à gauche) le roi Louis XIV recevant des échevins de Marseille l'histoire de leur ville (A. de
Ruffi, Histoire de la ville de Marseille, 1696) ou (ci-dessous à droite) M.
de Mongeron debout présentant son ouvrage au roi Louis XV (c. 1737, BnF, Estampes et photographie, RESERVE QB-201 (95)-FOL ).

Donc les questions que cet éventail nous pose, et qui nous
ont amenés à
nous intéresser à lui, tiennent dans son décor. Si le revers est orné
du très courant paysage sommaire avec maisonnette, la face est plus
originale. Au centre, derrière un important pot à feu, sur un piédestal
recouvert d'un voile bleu (formant dais) parsemé de fleurs de lys, un
homme chapeauté en habit rouge et cordon bleu est assis sur un fauteuil
Louis XV à haut dossier, la main gauche sur un accotoir, la droite
tendue pour désigner. Sur une table proche se trouve un encrier avec une plume d'oie, ce qui dans le contexte paraît logique.
Mais ne s'agirait-il pas plutôt d'une lampe fumante, ou d'un
brûle-parfum ?. Au pied de l'estrade, près d'une autre table ronde et
d'une chaise, trois hommes (épée et cordon bleu, chapeau sous le bras)
présentent des feuilles manuscrites. Derrière les quatre hommes des
putti présentent des blasons ovales : armes de France derrière le roi,
cavalier d'or passant sur fond d'azur, aigle d'or sur fond de gueules,
soleil et lune (?) d'or sur fond d'azur. A gauche, un putto tient une
ancre ailée devant un vaisseau. A droite autre putto souffle dans la
trompette de
la Renommée. L'ancre ailée et le vaisseau laissent penser qu'au moins
l'un des hommes est un marin ou un armateur, ou lié au commerce
international. Quant à la Renommée, elle préexistait peut-être à
l'évènement que relate l'éventail, ou en était la conséquence espérée.
Sans aucun doute, cet éventail fait référence à un événement précis, ou
à une situation qu'il symbolise. Nous avons consulté le Dr
Aurore Chéry, excellente connaisseuse de la famille royale au XVIIIe
siècle, qui comme nous songe qu'il pourrait s'agir de la signature d'un
traité ou d'un accord entre le roi et les personnes représentées sur
l'éventail. Il suffit, certainement, d'identifier
les armes portées par les blasons pour savoir de quoi il s'agit. Il est
facile de revonnaître les armes de France et les lys qui parsèment la
draperie bleue servant à la fois de dais, de tapisserie et de tapis.
L'homme en rouge ne peut donc être que le roi de France. Il paraît jeune pour Louis XV, né en 1710. Mais le portrait fait en 1773 par François-Hubert Drouais, un an avant la mort du roi, ne montre pas un vieillard...
Mais, hélas,
nous ne pouvons en dire autant des autres armes. Pour l'aigle d'or sur fond de gueules, on peut penser à
Constantinople, voire (à condition d'admettre que notre aigle est
bicéphale), à la famille Cantacuzène
qui dans l'histoire mouvementée des lointaines Moldavie
et Valachie ont donné quelques souverains. De même, un blason
d'azur au soleil et au croissant de lune d'argent peut évoquer la
Transsylvanie. Mais ici la lune (?) est pleine et semble d'or.
D'ailleurs, que feraient ici ces nobles venus de confins ottomans, et
dans un habit si peu oriental ? A côté de Louis XV, on
aurait préféré que l'aigle fût d'argent, ce qui nous aurait mené en
Pologne. Certes nous trouvons des familles, comme la famille d'Astevant
en Provence, qui portent ces armes. Toute noblesse dépend du roi,
d'une manière ou d'une autre. Pourtant nous n'avons pour l'instant trouvé
aucune famille arborant sur son blason un cavalier d'or passant sur
fond d'azur.
Certes, nous avons noté qu'Antoine de Pluvinel, né en Dauphiné,
créateur de l'académie d'équitation, anobli par Charles IX, avait pris
pour armes : d'azur au cavalier d'or tenant une épée d'argent. Mais le
cheval y semble cabré. Et, même si les Pluvinel ont noué des alliances
jusqu'au Montenegro, quel lien entre ces trois familles,
s'il s'agit de familles ?
Avouons donc notre désarroi. Dans cette recherche, allons-nous subir un revers ?
Je compte sur vous, amis, "followers", visiteurs de cette Place
de l'Eventail. Pouvez-vous m'aider en trouvant la solution de ce
problème ? Ou tout simplement, par quelque suggestion, en me donnant
des idées nouvelles ?
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