Avouons-le
: nous sommes très ignorants !
C'est
pourquoi nous demandons sans cesse que nos visiteurs aient l'amabilité
de nous signaler nos erreurs... et que nous posons ces "Questions d'Eventails"
avec
l'espoir, pas toujours déçu, d'obtenir des réponses et parfois
d'enrichir ainsi la rubrique "Monographies"
du site.
Mais notre
ignorance est encore plus crasse en ce qui concerne les éventails
asiatiques. Il s'en trouve cependant quelques uns qui arrivent entre
nos mains : leur beauté nous a interpellés, nous avons cru faire une
affaire (danger !) ou ils ont un lien manifeste avec notre monde
occidental.
C'est dans cette catégorie que se trouve l'éventail présenté ci-dessous.
C'est
un éventail à feuille double imprimée, à monture en bambou laqué noir,
avec une rivure métallique classique composée d'un tube et d'yeux à
bords
guillochés. Il mesure 25,9 cm au panache, avec une feuille de 15,8 cm.
Il
est pour le moins rafraîchissant !!! : on y voit en effet un bâteau
pris dans les glaces, des ours blancs, des phoques et l'entourage de la
feuille donne une impression de stalactites.
Trois inscriptions
devraient éclairer notre lanterne : surplombant la scène, un faisceau
de drapeaux entoure un écusson marqué "15 IX 1879". Figurent en bas à
gauche la mention "Tokio University" et en bas à droite
les
lettres "C. N."
Que représente cette feuille ?
Nous l'ignorions au départ, mais nous n'avons guère eu de peine à le
trouver.
Ce
que nous voyons, c'est en effet le bâteau la Vega, prise dans
les
glaces de l'océan Arctique, comme le montrent ci-dessous une gravure
contemporaine de
l'événement et un tableau de Jacob Hägg (1839–1931)
.
Quel
est donc cet événement ? Il s'agit, à la vérité d'une des
dernières conquêtes des grands voyages d'exploration du XIXe
siècle. Ceux que cela intéresse trouveront aisément des
informations en se renseignant sur Nordenskiöld, le scientifique héros
de cette aventure.
Nous
nous contenterons de reprendre un texte publié par le "Musée des Familles"
dans son numéro de mai 1880 (p 158-160)
à l'occasion d'un voyage à Paris de l'explorateur :
Le
lion du mois à Paris a été le professeur Adolf Erik
Nordensldöld ;
prononcez je vous prie, Nordecheude, un nom prédestiné qui signifie "
bouclier du nord". Ce savant navigateur Suédois, né en Finlande (...),
vient d'accomplir le plus grand tour de force maritime du
siècle;
ce n'est point cependant un marin, mais un savant (...) Il avait juré
de trouver le passage Nord-Est, c'est-à-dire le passage de
l'Atlantique au Pacifique, par la mer polaire en contournant la
Sibérie.
(...) La Véga,
navire de trois cents tonneaux, armée et soigneusement équipée, quitta
le 4 juillet 1878, le port de Gothenbourg (...Le 19 août. était..)
atteint le terrible
"Cap des Tempêtes"
du Nord, le Tchélynskin (...) puis pendant six mois on fut
sans
nouvelles, lorsqu'une lettre de Nordenskiöld apportée par un
baleinier apprit que l'expédition se trouvait arrêtée par les
glaces à 200 kilomètres Ouest du détroit de Behring. Chef et équipage,
tous étaient en bonne santé et pleins de confiance ; puis, pendant onze
nouveaux mois, silence de mort ; ce n'est qu'en
décembre
1879 qu'arriva la grande nouvelle. Après être restée 264 jours
emprisonnée dans les glaces, la Véga
était parvenue
à se dégager le 18 juillet 1879, et le surlendemain 20, elle
avait salué le Cap Est du détroit de Behring.
Pour la première fois, depuis le commencement du monde, le
passage
N.-E. de l'Atlantique au Pacifique était franchi ; il l'avait
été
en un an, mais, sans une circonstance purement accidentelle,
il
l'eût été en trois mois.
(...) Paris a fait le plus brillant
accueil au savant professeur, qui a charmé tous ceux qui l'ont
approché, autant par sa modestie que par la variété et
l'étendue
de ses connaissances. (...)
M. Nordenskiöld a reçu du président de
la République la croix de Commandeur de la Légion d'Honneur, et le
capitaine Palander celle d'Officier. (NB
: le capitaine Palander
commandait la Véga)
Nous nous sommes d'abord posé quelques questions : pourquoi
cette date du 15 septembre 1879 ? Pourquoi cette mention de
"Tokio University" ? Pourquoi cet éventail japonais pour fêter ce héros
scandinave ? (ajoutons que jusqu'à ce que nous
l'achetions, l'éventail
se trouvait en Suède).
 |
En
ce qui concerne la mention figurant en bas à gauche, nous
avons
vite appris que l'Université de Tokio, fondée en 1877/78 à la
mode occidentale garda ce nom de "Tokio University" ( 東京 大学) jusqu'en
1886, date où lui fut adjoint le terme d' "Impériale". Ce nom ne doit
pas surprendre en 1879 (non plus que l'orthographe "Tokio" alors
couramment admise, l'anglais n'ayant pas encore supplanté le français
dans les relations internationales).
Une rapide étude montre que nous voyons
ici les drapeaux français,
russe, suédois/norvégien (??), danois, japonais, anglais, allemand et
américain.
|
Il apparait qu' "Une réception
de bienvenue eut lieu le 15 septembre 1879 à
Kobu-Daigakko, prédécesseur de la Faculté de technologie de
l'Université
impériale de Tokyo. C’était une cérémonie exceptionnellement grande à
cette
époque avec plus de 130 invités, dont la présence du prince
Kitashirakawa, du
prince Higashifushimi, ainsi que des ministres américain, russe et
britannique.
Une médaille d'argent spéciale a été remise à Nordenskiöld en gage de
l'appréciation de la Société. Dans son discours de retour, M.
Nordenskiöld a
encouragé le prince Kitashirakawa, président de la Société, à
entreprendre un
voyage le long de la route du nord-ouest de l’Asie de l’Est jusqu’en
Europe par
des Japonais sous les auspices de la Société et d’autres expéditions
dans
l’Arctique. Le 17 septembre,
Nordenskiöld a été reçu par l'empereur Meiji"
Nous prenons ces précisions à Kauko
Laitinen, Ph.D., Docent Renvall Institute University of Helsinki.
Mais qu'a-t-on pu faire lors de cette réunion, à part discours et
remises de médaille ?
|