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Les éventails du Printemps... et l'Oiseau Bleu
in English (click!): Fans of the Paris Printemps Grands Magasins (and the Oiseau Bleu)

Rappel : la reproduction de tout ou partie des textes ou photos de ce site, à quelque usage et sous quelque forme que ce soit, est interdite sans notre accord.


Il existe des éventails de grand prix, même si ce prix est sans commune mesure avec celui de certaines œuvres (d'art ?) contemporaines. Mais, et c'est une bonne nouvelle pour les collectionneurs et les amateurs, nombre d'éventails ne valant que quelques dizaines d'Euros (ou même quelques Euros !) peuvent se montrer d'un grand intérêt. C'est rarement le cas des éventails pour touristes du XXème ou du XXIème siècles. Mais les éventails publicitaires offrent au curieux et au chercheur des ressources non négligeables. Parmi eux, beaucoup concernent les Grands Magasins parisiens (pour une histoire de ceux-ci, on pourra consulter un article de Claudine Chevrel). Le concept nait progressivement dès la fin du XVIIIème siècle, mais reçoit une impulsion décisive quand en 1852 Aristide et Marguerite Boucicaut s'associent aux frères Paul et Justin Videau pour développer rue de Sèvres et rue du Bac le magasin Au Bon Marché. Le plus ancien éventail que nous possédons dans cette catégorie, et que nous montrerons peut-être un jour, suit de peu : il date de 1856 et donne à voir, comme "Souvenir de l'Exposition d'avril 1856" une "Vue des nouvelles galeries" de ce Bon Marché, peuplées de dames en crinolines et de vendeur empressés. D'autres éventails faisant la publicité de ces "grandes surfaces" du temps datent également du Second Empire. Nous en montrons un dans notre page consacrée au "Monstre et au Magicien" (Monstre). Cet éventail, tout en étant annonce de la pièce éponyme et calendrier pour le second semestre de 1861, fait en effet aussi la réclame pour le magasin Aux Bains Turcs, vite supplanté par ses nouveaux concurrents comme le Bon Marché mais aussi les Grands Magasins du Louvre (1855), La Belle Jardinière (1856), les Grands Magasins du Printemps (1865), La Samaritaine (1865) ou, plus tardivement, les Galeries Lafayette (1896). Presque toutes ces maisons ont diffusé des éventails. On rencontre souvent sur le marché ceux des Galeries Lafayette, certains décorés par Gabriel Domergue (comme celui que nous montrons ici) ou ceux du Louvre. On trouvera assez aisément des exemples de tous ces éventails dans les ouvrages consacrés aux éventails publicitaires sur les sites de musées parisiens comme Galliera ou le Musée des Arts Décoratifs de Paris.

Ce sont  ceux du Printemps que nous allons ici étudier, bien que (ou parce que) modestes. Cette modestie fait que l'on passe facilement à côté, ou qu'en en voyant un, l'on pense : "celui-là, je l'ai déjà vu". Cette même impression -parfois trompeuse- se retrouve à d'autres périodes, comme nous l'avons montré par exemple avec les éventails de la Loterie de l'Amour (voir notre article "Amour, loterie et éventails,  Le Vieux Papier, F. 427, janvier 2018, p. 409-415). Ce n'est que l'examen attentif de chaque objet qui permet de noter des différences parfois subtiles, avec la satisfaction de nous amener à nous interroger ; et là comme ailleurs, les questions ont souvent autant d'importance que les réponses.

Auparavant, disons un mot des relations entre M. Jaluzot, propriétaire du Printemps, et les éventails. En effet, il avait obtenu de Gustave Eiffel l'autorisation exclusive de reproduire la tour en miniatures, avec les chutes de la construction, et aurait sous-traité avec de nombreux industriels ou artisan : bijoutiers, verriers, bronziers... et éventaillistes. Hélas en avril 1889 la justice décida que la propriété de la Tour étant acquise à l'État, il en était de même des droits de reproduction. Ceci favorisa l'apparition d'un grand nombre d'objets souvenirs de l'exposition, dont de nombreux éventails que  nous connaissons.

Les loisirs forcés que l'épidémie du Covid 19 nous a octroyés nous ont permis, dans le récolement général de nos éventails, de constater que nous possédions, sans l'avoir vraiment recherché, douze éventails faisant la publicité des magasins du Printemps, avec -en apparence- des doublons devant nous amener à en vendre ou à en donner... ce que nous n'arrivons à faire jusqu'à présent qu'à l'occasion des rassemblements du Fan Circle International, de la Fan Association of North America ou du Cercle de l'Eventail. Voici un tableau succinct de ces éventails, avec un numéro pour la commodité de l'exposé, une hauteur des éventails (H), le nombre des brins, la nature du décor, la matière de la monture et un type distinctif, étant noté que tous ces éventails sont pliés, un seul étant "cocarde".

H brins décor monture type
1 19,5 21 bandes tricolores bambou à l'anglaise
2 20,5 16 bandes tricolores panaches bleu/rouge à l'anglaise
4 20,5 16 bandes tricolores panaches bleu/rouge à l'anglaise
3 20,5 16 bandes tricolores panaches bleu/rouge à l'anglaise
5 27,5 8 bandes tricolores panaches bleu/rouge double
6 27,5 8 bandes tricolores panaches bleu/rouge double
7 33,8 2 fleur très stylisée bois ordinaire éventail cocarde
10 15,3 3 fleurs bois ordinaire à l'anglaise
8 15,3 3 fleurs bois ordinaire à l'anglaise
9 27,1 3 fleurs bois ordinaire marron double, asymétrique
11 27,9 8 fleurs, fond jaune bois ordinaire double
12 27,3 8 grande fleur, fond jaune/vert bois, panaches foncés, brins clairs double

Comme on le voit, une moitié de ces éventails est à "bandes tricolores", et une autre moitié à décor de fleurs. On voit aussi, à la seule lecture de ce tableau, qu'à l'intérieur d'une même catégorie il existe des différences notables (hauteur, nombre de brins, montage à l'anglaise ou à double feuille, nature de la monture). Nous allons dans un premier temps nous intéresser à ces éventails à bandes tricolores.


I - ÉVENTAILS A BANDES TRICOLORES

Une recherche rapide (et donc peut-être incomplète) ne nous permet pas de retrouver systématiquement ces bandes tricolores sur d'autres objets publicitaires de l'entreprise. Leur signification paraît évidente. Pour le public français, dans la période marquée par la succession des guerres de 1870, de 1914-1918 et de 1939-1945, il s'agit à l'évidence d'une adhésion à un sentiment patriotique largement partagé. Pour le public étranger (dont la clientèle a toujours été importante pour les grands magasins parisiens) cela permet d'accentuer facilement le caractère d'objet-souvenir de ces éventails.

Le tableau ci-dessus permet de distinguer dans cette catégorie trois types, étant précisé que tous portent le slogan essentiel : "Toute femme élégante est cliente du Printemps".

A -  19,5 cm, monté à l'anglaise, 21 brins et monture bambou naturel, marqué "V. Espi, Paris" (éventail n° 1 du tableau ci-dessus)

bandes tricolores bambou

B -  20,5 cm, montés à l'anglaise, 16 brins, panaches rouge pour l'un, bleu pour l'autre, marqué "V. Espi Paris" (éventails n°s 2, 3, 4). La fabrication est à l'évidence plus soignée ici que dans le modèle précédent : panaches de couleur, plis bien marqués, écart régulier entre les brins, toutes qualités dont manque le modèle "A". Nous donnons ici une photo de l'éventail n° 4. Le n° 2 est identique

 
tricolore B


L'éventail n° 3 est tout à fait semblable aux n°s 2 et 4. Il va cependant nous permettre (imposer aux lecteurs ?) une assez longue digression, qui justifie l'Oiseau Bleu qui figure dans le titre de cette page. Ceci nous permet de parler des éventails comportant des mentions manuscrites. On y trouve, bien sûr, des annotations inscrites par le donateur de l'éventail, ou rappelant son nom, des éventails menus (l'une des spécialités de Lachelin), des éventails faisant livre d'or, avec signatures de personnes connues ou inconnues, qui agrémentent parfois leur inscription de dessins, de portées de musique ou de vers (pensons à Mallarmé !). Nous possédons aussi un éventail où une actrice (non professionnelle, sans doute) avait inscrit au revers toutes ses répliques. Ici, le revers se trouve entièrement couvert d'écritures manuscrites nous donnant à l'extrême gauche une date : "30 juin 1939"  et à l'extrême droite ce dont il s'agit : "Soirée au bénéfice de l'Oiseau Bleu". Sur l'ensemble de l'éventail, entre les mots "Programme" et "Fin" figurent les noms des morceaux faisant partie du spectacle, et de leurs interprètes. Nombre de ceux-ci, pour la plupart oubliés, n'étaient cependant pas à l'époque, ou dans les décennies suivantes, des inconnus. Nous reproduisons ce revers d'éventail, avec au dessous le programme quelques brèves mentions sur les artistes que nous avons pu identifier.

Oiseau Bleu 
Titre  Auteur Interprètes
29 degrés à l'ombre Labiche MM Ballot, Buirout, Roville, Taitz, Vimont
Air du Barbier de Séville Rossini M. Cabanel
Ecole Florentine Haendel Ione et Brieux
Marche des ruines d'Athènes Beethoven - Trouard M. Raymond Trouard
??? Ravel Ione et Brieux
Campanella Liszt M. Raymond Trouard
??? Strauss Ione et Brieuxx
Berceuse Chopin Raymond Trouard
Joli mai Poulenc Ione et Brieux
Mazurcka Chopin Raymond Trouard
Clair de Lune Debussy Ione et Brieux
Demain M.M. Levy Ione et Brieux
Mélodies - Cathelat
Quatuor Gausmann (?) Quatuor Loewenguth

Ce revers nous donne une information importante : c'est que ces éventails ont été diffusés au plus tard en juin 1939, à moins d'imaginer que quelque pervers a pris la peine, des années plus tard, de recopier le programme d'une soirée de charité sur un éventail plus récent. Or le graphisme particulier de ces éventails, sobre voire simpliste, n'en facilite pas la datation. D'ailleurs un éventail identique est dit par le Musée des Arts décoratifs de Paris "vers 1950" (inv. 2011.80.87). Nous ne pensons d'ailleurs pas que le réalisateur de l'éventail (V. Espi ) ait été encore actif en 1950.

Pour poursuivre  la digression annoncée, nous donnerons quelques informations sur certains artistes participant à cette soirée caritative.

CABANEL Jean Paul dit Paul. — Basse (Oran 1891 – Paris 1958). Débute le 18 janvier 1932 dans la Tosca (Scarpia). Chante Carmen (Escamillo), le Barbier de Séville (Bazile), Louise (le Père), Manon (le Comte Des Grieux), Mignon (Lothario), Nele Dooryn (Père Fredaels), les Noces de Figaro (Figaro), Paillasse (Tonio), Lakmé (Nilakantha), la Bohème (Colline) et les Contes d’Hoffmann (Lindorf, etc.). Il tint une classe d'opéra au Conservatoire de Paris de 1942 à 1958.

CATHELAT Georges, ténor français (Paris 1904-1993). Nombreuses distinctions au Conservatoire de Paris entre 1927 et 1931. Interprète dès 1930  à la radio Paris-PTT dans la cavatine de Faust puis se produit à l'Opéra-Comique, au Théâtre des Champs-Elysées, mis aussi en 1938 dans Pelléas et Mélisande à l'Opéra de San Francisco, puis en 1940 au Metropolitan Opera de New York le 7 mars 1940, avant de revenir à Paris, en particulier à l'Opéra-Comique.  Il fut aussi acteur de cinéma, débutant en 1933 dans un film... muet !

IONE et BRIEUX - Yves Brieux-Ustaritz (1905-1991). Danseur et pédagogue français, il quitta l'Opéra de Paris au début des années 1930 pour se produire en gala à travers l'Europe avec sa partenaire Geneviève Ione, qu'il aurait épousée. Après 1940, il se consacra à l'enseignement, en particulier à l'Opéra de Paris.

TROUARD Raymond, pianiste français (1916-2008). Premier prix de piano en 1933 au Conservatoire, où il a enseigné entre 1969 et 1985, prix Louis-Diémer en 1939, ce virtuose ayant impressionné ses contemporains par sa technique a laissé de solides interprétations de la Sonate de Liszt et des Valses de Chopin. Mais son répertoire a été beaucoup plus large, au récital comme en concert des deux côtés de l'Atlantique.

On peut aisément écouter Raymond Trouard, et même le voir.

Le quatuor LOEWENGUTH était un quatuor à cordes français fondé en 1929 par Alfred Loewenguth, qui en fut le premier violon pendant toute son existence (jusqu'en 1983). Ce quatuor à cordes a eu une renommée internationale et a gravé de nombreux disques, de Bach à Milhaud, avec une insistance particulière sur Haydn, Mozart, Beethoven et la musique française. Il a obtenu un Grand Prix du disque.

.Eux aussi peuvent facilement être écoutés.

Ione et Brieux

Mais pour quel public, et pour quelle raison ces artistes se sont-ils réunis le 30 juin 1939 ? Autrement dit, quel est cet "Oiseau Bleu" ?  Au fil du temps, on trouve sous ce nom bien des objets différents, d'une revue pédagogique novatrice à une association d'enfants malades, en passant par un poème de Maeterlink et même à une opération militaire semi-secrète pendant la guerre d'Algérie. La seule réponse qui nous parait à la fois plausible et raisonnable est qu'il s'agit ici d'un établissement situé à Boissy l'Aillerie (au Nord de Paris). Cette propriété, acquise par les Unions Chrétiennes de Jeunes Filles avec l'aide de leurs homologues des États-Unis joua un grand rôle dans la création du scoutisme français (en particulier dans sa branche féminine et protestante), avant de devenir une maison de vacances et de repos de l'U. C. J. F. destinée notamment à de jeunes ouvrières ou employées. La propriété est maintenant utilisée pour faciliter la désintoxication de jeunes toxicomanes.

Oiseau Bleu
Une salle de l'Oiseau Bleu à Boissy-L'Aillerie

Après cette digression moins futile qu'il n'y parait, puisqu'elle permet de songer à un usage souvent oublié des éventails, revenons à notre étude des éventails du Printemps ! Dans la famille des éventails à rayures tricolores, il nous reste en effet une catégorie à étudier.

C -  27,5 cm, feuille double, 8 brins, brins et l'un des panaches rouges, autre panache bleu, marqué "V. Espi Paris"  (éventails  5 et 6). Ces éventails se caractérisent, outre une hauteur rare pour les éventails publicitaires du XXe siècle, par une ouverture de très faible ampleur, également assez inédite. Autre particularité que nous ne nous rappelons pas avoir remarquée ailleurs, la coloration d'une couleur des brins et d'un panache, le second panache étant coloré différemment. Les feuilles doubles sont identiques des deux côtés, avec toutefois inversion des couleurs. De plus, du fait de la coloration asymétrique de la monture; l'aspect diffère selon le côté de l'éventail regardé, comme le montrent ci-dessous les photos des éventails 5 et 6. Pour le musée Galliera, cet éventail date du 2ème quart du XXème siècle. (Inv. 1985.145.1). Cette datation paraît en effet plausible. Dans cette catégorie, Michèle Verdier, excellente collectionneuse d'éventails notamment publicitaires, nous signale un "alien". L'objet reprend tout à fait les codes de nos éventails 5 et 6, MAIS il est dû, selon inscription portée sur la feuille, à J. Ganné, et, chose fort surprenante, le bleu y est remplacé par un noir soutenu. Nous n'imaginons pas là une action volontaire d'un typographe anarchiste, et y voyons l'effet d'une erreur... qui a peut être privé Ganné de cette commande. Michelle Verdier nous autorise à reproduire ici des photos de cet éventail, et nous l'en remercions bien.

Printemps grand f Printemps grand r
Ganné MV Ganné MV 2


II - ÉVENTAILS A FLEURS

Cette famille va s'avérer bien moins homogène que la famille des "bandes tricolores", d'autant qu'elle va comporter, nous allons le voir, des "faux jumeaux". Nous les examinerons -ce critère en vaut un autre !- par taille décroissante de l'éventail ouvert.


A - Éventails cocarde ou "Vents du Nord". (n° 7 du tableau ci-dessus).

Nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises d'évoquer ces éventails, en particulier sur notre page "Vents du Nord". Ceux du Printemps
portent tous la mention "Chambrelent Eventailliste Paris". C'était la grande spécialité de cette importante maison, comme en témoigne l'illustration que nous montrons ci-dessous.  On y remarque, en haut au centre, l'éventail dont nous parlons. Que Chambrelent mette ainsi au premier plan cet éventail réalisé pour les Magasins du Printemps est sans doute un signe de la qualité des relations d'affaires entre les deux sociétés.

Ces éventails cocarde existent avec divers décors. On en trouve un certain nombre, par exemple sur le site internet du Musée des Arts Décoratifs de Paris. Il faut noter que  ceux qui sont jugés les plus anciens (années 1910) ne portent qu'une discrète mention "Au Printemps" (voir par exemple celui référencé 2011.80.33) et pas la phrase emblématique "Toute femme élégante est cliente du Printemps". Notre amie Michèle Verdier nous en propose également un, que nous reproduisons ci-dessous.

 La phrase récurrente n'apparaîtrait sur les éventails "vents du nord" que dans les années 1920. C'est donc à ce moment qu'aurait été édité  l'éventail que nous montrons ci-contre.

Chambrelent

Vent du Nord MV

cocarde



Vent du Nord MV d


Notre aimable correspondante nous signale aussi un autre éventail cocarde d'un type  spécial, qui présente l'avantage d'un système pliant en quatre éléments reliés par des axes qui en se dépliant constitue le manche de l'écran, et en se repliant vient enserrer la feuille dans une boîte protectrice de faible encombrement. Ce dispositif correspond au brevet n° 1306746 (9/09/1961) déposé par Maurice Zriem. cf Maryse Volet, Les brevets d'éventails déposés en France au 20ème siècle, Vésenaz, 1992, p.210-211. Ces éventails (à notre connaissance toujours fabriqués à Hong Kong) étaient à l'origine en métal, comme celui que nous voyons ici, mais on les trouve aussi en plastique. L'un des plus remarqués est présenté dans une boîte marquée "Keep cool and be gay", correspondant à une époque où cet adjectif n'avait pas, ou si peu, la connotation particulière qu'il a maintenant.

Celui que  nous montre Michèle Verdier, outre le "made in Hong Kong", présente sur le manche la mention "Midget Fan N° 104" et surtout arbore sur la feuille l'inscription "Au Printemps - Le grand magasin le plus élégant de Paris". Or, à notre connaissance, cette inscription ne se trouve telle quelle sur aucun autre support publicitaire. Par contre, certaines affiches comportent cette phrase, mais au pluriel, comme on peut le voir ci-dessous ( BnF, ENTOA-1-GRANDROUL ). Oeuvre d'un contrefacteur ???

les plus élégants


Hong Kong MVHong Kong MV 2


B - Dans cette catégorie nous regroupons les éventails n°s 11 et 12 du tableau ci-dessus. Il s'agit de grands éventails de J. Ganné, à ouverture de faible ampleur, avec pour  le n° 11 un fond jaune, et pour le n° 12 un fond jaune/vert pâle. Le premier (à gauche ci-dessous) présente, sur une monture en bois naturel une double feuille montrant sur un fond jaune un jeté de fleurs très stylisées (tulipes ?) aux couleurs limitées (gris pâle et rouge). Recto et verso sont identiques, et comportent près de la gorge, la formule magique : "Toute femme élégante est cliente du Printemps" et, sur le côté gauche, la mention "J. Ganné - Paris". Un éventail identique figure dans les collections du Palais Galliera sous le n° 1984.120.48. Le musée le suppose des années 1930-1940, ce qui parait très vraisemblable.

Le second (n° 12, à droite ci-dessous), possède une monture en bois ordinaire, les panaches étant plus foncés que les brins. La feuille ne s'orne que d'une seule fleur très stylisée. Cette fleur est de même nature que celle de l'éventail n° 11, mais énorme et colorée comme un arc en ciel. . La mention "Toute femme élégante etc." figure également près de la gorge. Seul le revers porte la mention "J. Ganné - Paris". Un éventail identique figure dans les collections du Palais Galliera sous le n° 1984.120.5, comme le précédent présumé dater des années 1930-1940. La description donnée semble excellente, et mérite d'être recopiée : "La surface de la feuille est divisée en 2 parties d'égale superficie à gauche, jaune à droite, au centre, une tulipe symbolisant le printemps est elle aussi divisée en 2 parties : à gauche bandes verticales rouge, blanc, vert blanc, bleu, blanc, rouge et à droite entièrement blanche, au bas de la tige, 2 feuilles schématisées en noir et blanc, dont une avec des nervures".

jaunesoliflore





C - Autre catégorie d'éventails du Printemps à fleurs, représentée dans notre tableau par un seul exemplaire : il s'agit du n° 9.


Celui-ci présente la particularité remarquable d'être asymétrique. Sa feuille est double, mais le revers est muet. La face est agrémentée d'un splendide bouquet de fleurs variées  épanouies.

Cet éventail, qui tranche avec la simplicité des autres éventails du "Printemps", semble bien plus rare que les autres modèles. Apparemment, il ne figure pas dans les collections des musées parisiens que nous mentionnons par ailleurs.

Cependant on le rencontre parfois en vente publique, et il figure dans les ouvrages spécialisés consacrés aux éventails publicitaires. Magdeleine Ducamp (La Folie des Eventails, Flammarion, 2001) le montre (p. 189), en le datant des années 1930 et en précisant : "Toujours le même slogan sur cet éventail en forme dite "aile d'oiseau", qui a sûrement inspiré le célèbre modèle pour les bas Dior".

asymétrique

D - Petits éventails à bordure florale. Dans cette famille des éventails du Printemps à fleurs (et quoi de plus normal que des fleurs au Printemps ?) il nous reste à étudier ceux qui dans notre tableau initial portent les numéros 8 et 10. Dans une description simpliste, ils semblent identiques : même dimension, même nombre de brins (3 + 2), même montage "à l'anglaise", fleurs (différentes, mais comparables) au pourtour. A priori, les principales différences résident dans le fait que l'éventail n° 10 est monogrammé C.G. et dans la typographie du "slogan", qui pour le n° 8 est en script, et pour le n° 10 en italique. N'y en a-t-il pas d'autres ? Bien des commissaires priseurs, ou des employés de musée s'y laissent prendre, et c'est bien normal : pourquoi s'intéresser de près à ces modestes objets, qui valent au mieux quelques (petites) dizaines d'Euros ? Et vous ? Que remarquez vous en les regardant exposés côte à côte (n° 8 à gauche, n° 10 à droite) ?

petit scriptpetit du

Alors ? Voyez-vous cette différence fondamentale ?

Il faut reconnaître que beaucoup ne la voient pas ! Dans Fans, Advertising and Souvenir (Schiffer, 2012), essentiel en la matière (malgré des estimations trop optimistes) Donald Bull et Rodolphe Roger juxtaposent (p. 121) ces deux versions d'un même thème, avec une seule traduction "Any elegant woman is a client of the Printemps". Et Galliera (de son vrai nom Musée de la Mode et du Costume de Paris -c'est plus long !-), en décrivant un objet identique à notre éventail n° 10, (ci-dessus à droite), y lit : "Toute femme élégante est cliente au Printemps" (1986.224.4).

Sans doute voyez-vous maintenant, si vous ne l'aviez pas déjà remarquée,  la différence essentielle entre ces deux modèles ? Eh oui : l'éventail de droite (n° 10)  emploie la formule rituelle "Toute femme élégante est cliente du Printemps" alors que l'éventail de gauche (n° 8) se démarque par un mot : "Toute femme élégante est cliente au Printemps". La différence graphique est mineure, et la différence de sens minime ("at the Printemps" au lieu de "of the Printemps", si nous traduisons en anglais). Avouons qu'il y a de quoi se tromper. D'ailleurs le même Musée Galliera; en décrivant l'un des éventails cocarde que nous avons analysés plus haut y voit la phrase "Toute femme élégante est cliente au Printemps". Mais même en écarquillant les yeux nous voyons toujours un "du", et pas un "au". (Inv. 1986.269.5). Le musée voit aussi un "au" et non un "du" sur l'un des grands éventails à fond jaune (n° 11 ci-dessus, cf. 1984.120.48).

Le plus surprenant est que si le slogan publicitaire se trouve avec "cliente du Printemps" sur nombre de supports, des affiches aux sacs en papier, en passant par des cendriers (cf. ci-contre), ce n'est que sur ces petits éventails que nous remarquons la formule "avec au". Nous sommes pour l'instant bien incapable d'expliquer cela, sinon par l'erreur d'un typographe, poussé peut-être à la faute par un commanditaire à l'écriture bâclée...  Bien des lecteurs verront dans nos propos un attachement exagéré à des vétilles, osons le mot, un "pinaillage". Disons le tout net, ils ont tort. En matière d'éventails de toute provenance, de toute période et de toute valeur monétaire, cet attachement aux "petites différences" est source de connaissances et d'enrichissement culturel. Nous l'avions il y a longtemps montré avec nos éventails pour cigarettes. Cette attention aux détails nous a souvent été utile, par exemple pour étudier les "éventails espagnols à feuilles françaises", ou plus récemment pour décrire un éventail touchant à l'histoire parisienne ("Les omnibus-gondoles, un projet tombé à l’eau… et caricaturé par Cham (sur un éventail ?)", Le Vieux Papier, n° 458, octobre 2020, p. 354-360).
cendrier

Nous arrivons au terme de cet exposé, trop long pour un sujet si mineur. Et pourtant, nous ne l'avons pas épuisé. Il y a d'autres éventails du Printemps, comme un petit éventail que l'on ne voit pas souvent, imprimé en noir sur fond rouge et montrant une vue rayonnante des magasins du Printemps et de la foule qui s'y presse (Bull et Roger, op. cit. p. 122). Si nos aimables lecteurs veulent nous en signaler d'autres (et corriger nos erreurs !), ce sera avec plaisir que nous allongerons encore notre sauce. Mais nous ne voudrions pas nous quitter sans un dernier éventail du Printemps, qui nous montre la magnifique verrière du magasin parisien. Il avait édité par Duvelleroy (c'est à dire le regretté Michel Maignan) et sa complice Lucie Saboudjian en 1990, pour célébrer les 125 ans de l'établissement. Qu'il nous serve à saluer la mémoire du premier, et à souhaiter à la seconde bien des printemps ensoleillés.

Verrière


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N'hésitez pas à me  faire part de vos commentaires, remarques, critiques... et à prendre contact avec moi  à tout propos se rapportant aux éventails, notamment en lien avec ma recherche principale, qui porte toujours sur les sujets des éventails européens de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle. Merci !

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