Nous
avons déjà montré ici des éventails dits "au rectangle" (voir en
particulier, honni soit qui mal y pense, notre "éventail
cochon"). Il y aurait, assurément beaucoup à en dire
: ce n'est pas ici notre propos, puisque nous voulons
seulement faire part de nos interrogations à propos d'un objet entré
récemment dans notre collection.
Plus notre connaissance des éventails augmente, et plus nos
incertitudes, hélas, croissent aussi. C'est
pourquoi nous demandons sans cesse que nos visiteurs aient l'amabilité
de nous signaler nos erreurs... et que nous posons ces "Questions d'Eventails"
avec
l'espoir, pas toujours déçu, d'obtenir des réponses et parfois
d'enrichir ainsi la rubrique "Monographies"
du site.
Ici nous allons vous présenter, en commençant par la face cachée, pour
attiser votre curiosité, cette feuille d'éventail mise au rectangle. Au dos, dans un
important cadre manifestement réalisé spécialement au XIXe
siècle, nous avons enlevé le papier brun déjà ancien qui se
présentait à la vue. Sous ce papier, nous avons trouvé quelques
vestiges d'un précédent fond, et un large rectangle d'enduit
blanchâtre, paraissant ancien. Le panneau de bois, aux bords biseautés
à l'arrière, semble sensiblement plus ancien que le cadre. Dès cette
première phase de découverte, nous constatons la présence, ici en bas,
d'un trou qui semble avoir servi à suspendre le panneau de bois à une
époque donnée. Nous nous interrogeons aussi sur l'enduit blanchâtre,
trace sans doute d'un précédent encadrement, mais peut-être aussi de la
présence -que nous avons constatée à une autre occasion-
et de la
disparition de la carte commerciale du marchand d'origine. Sur la
partie blanche il semble y avoir des restes d'inscription : peut-être
un "16" ? Mais nous nous apercevons à cette occasion que notre
lampe de Wood ne fonctionne plus. A suivre, peut-être ?

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L'importance
du cadre étonne. Mais la vraie
surprise, quand on a un peu d'habitude des éventails et des feuilles
d'éventail "mises au rectangle", c'est la faible dimension du
"rectangle" et, plus encore de la feuille elle-même.
En
effet le panneau mesure 28,4 x 15,1 cm, la partie peinte "à
vue" n'excédant pas 28,1 x 14 cm, avec en haut un léger débord de la
feuille, cachée par le cadre.
De ce fait la feuille d'éventail
elle-même a une largeur de 9 cm seulement, et la hauteur totale de
l'éventail potentiel n'excède guère 14,7 cm. |
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En examinant l'objet, nous constatons que la feuille semble être
faite de peau (fine, mais moins que les belles cabretilles italiennes),
qu'elle est entièrement gouachée et dorée,
qu'elle a été appliquée sur une planche de bois enduite et que selon
l'habitude, la peinture a été prolongée dans les coins et
sur la partie de la "gorge".
La peinture utilisée semble dans ces extensions de
moins bonne qualité que sur la feuille d'éventail elle-même. En effet,
celle-ci comporte autour du large cartel central des
bordures étroites et à motifs foliacés dorés, assez courantes
dans le troisième tiers du XVIIe siècle. Or ces bordures, restées
brillantes et vives dans la partie non agrandie, sont ternes à
l'emplacement de la gorge et dans le haut de la feuille, sans doute
repris lors de la mise au rectangle. Nous constatons aussi que des
fleurs rajoutées dans les angles sont moins vives, et que leur
peinture s'écaille. Peut-être faudra-t-il envisager quelques travaux de
conservation ?
Voici
l'objet tel qu'il se présente une fois sorti du cadre, et débarrassé du
verre épais, ancien et rayé, qui le protège.
(noter ci dessous le trou qui a sans doute un temps servi à suspendre le panneau)  Rappel : copie des photos strictement interdite sans notre accord. Il
ne sert à rien de s'attarder sur la description de cette feuille
vivante et aux couleurs encore vibrantes. Diverses
questions se posent, que nous nous permettons donc de soumettre à nos
visiteurs, qu'ils soient spécialistes des éventails ou pas. Nous
donnerons notre première impression, tout en demandant
à nos interlocuteurs de ne pas hésiter à nous contredire. Il s'agit
seulement d'amorcer la discussion.
1) Que représente cette feuille ?
Il
s'agit à l'évidence d'une collation festive dans une ferme. On a allumé
la cheminée, dressé une table avec une belle nappe blanche, mis les
petits plats dans les grands, et sorti beaux verres et carafes de vin.
Le riche encadrement de fleurs sur fond doré complète agréablement
cette fête champêtre, agrémentée par le violoniste qui se détache dans
la porte de la maison et les deux musiciens qui assis au premier plan
jouent de la flûte (?) et de la guitare (?).
Il faut cependant
aller plus loin, et pour cela regarder les détails à la loupe... ou sur
l'écran d'un ordinateur ! Nous resserrons le champ en négligeant la
cheminée et le serviteur qui apporte une belle tarte de fruits rouges
(semble-t-il). Rouges aussi, et signes de noblesse, les talons, la jarretière et le plumet du
chapeau noir de l'élégant jeune homme, tout comme le couvre-chef (coiffe ?) de sa voisine.

Mais
qui est cet homme ? Est-ce un noble parlementaire ? Qui est la femme
à la pièce d'estomac bleue qu'il semble désigner de la main ? Il
y a sûrement quelque chose à fêter. L'homme en veste rouge arrive-t-il en levant son verre en
l'honneur de la jeune femme assise près de la table ?
L'homme et la femme âgés, à l'autre bout, des paysans
parents de la jeune femme auxquels les seigneurs rendent une visite à
l'occasion de mariage ou fiançailles ? Mais est-il commun, dans de
telles circonstances, de faire danser un chien ?
2) de quand date cette feuille ?
Si
l'on admet que la réalisation de la feuille est contemporaine de la
scène représentée, l'examen des costumes devrait nous aider quelque
peu, du moins celui des personnages les plus éminents, car on sait bien
que le costume rural était peu sujet à variations : les personnages les
plus humbles ne sont guère différents de ceux montrés par les frères Le
Nain avant 1650. Pourtant, ici, la coiffure de l'homme et de la femme,
à longs cheveux mais relativement plate sur le dessus signe une date
antérieure aux modes des hautes perruques pour les hommes et des
coiffures "à la Fontange" ou même à la "Hurluberlu" pour les dames. Le
chapeau (?) rouge de la dame surprend quand même.
Donc
notre premier mouvement est de dater la scène (et la feuille ?) de 1670
environ, ce qui est cohérent aussi avec les colliers de grosses perles
des jeunes femmes. Mais il est bien possible que nous nous trompions !
3) y-a-t-il une source pour cette feuille ?

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Les
amateurs d'éventails le savent : il est rare que ces objets soient
parfaitement originaux. Ils reproduisent souvent, en les adaptant
parfois beaucoup, des œuvres d'art ou, surtout, des gravures. Ici, nous
n'avons a priori pas de source commune : mais nous comptons sur nos
visiteurs pour en trouver !
Notons simplement, s'agissant du
couple âgé, et en particulier de l'homme, que nous y trouvons quelque
analogie avec les œuvres de Jacques Stella (1596-1657), en particulier
dans la série des Pastorales gravées par sa nièce Claudine Bouzonnet-Stella (1641-1697)
On voit ci-contre - grâce aux Bibliothèques Municipales de Lyon, dont nous recommandons la base numérisée- un détail de La veillée à la ferme pendant l'hiver, de Claudine
Bouzonnet-Stella d'après Jacques Stella, Paris, Galleries du
Louvre (estampe en taille-douce, eau-forte et burin, 24,3 x 31,2
cm)
Mais comparaison n'est pas raison !
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4) Pourquoi cette feuille est-elle si petite ?
Nous
possédons quelques feuilles "mises au rectangle" et en avons vu bien
davantage. Certains de ces rectangles sont petits , comme celui
que nous montons ci-dessous : mais l'on s'aperçoit vite que c'est parce
que seule la scène centrale de la feuille d'éventail a été conservée.

Dans
le cas de la feuille que nous étudions ici, la feuille est entière, et
les dimensions en sont véritablement limitées. Rappelons les :

Pour une meilleure compréhension... j'ai placé ce petit éventail avec
son immense cadre XIXe sur une feuille encadrée, à peu près de la même
époque, elle dotée d'un cadre "à la Berain" ancien. Il me semble que
cette photo parle d'elle-même !

Dès
lors, si cette feuille correspond bien à un éventail qui a été monté,
ou qui aurait dû l'être, que pouvait être cet éventail ? Un éventail
"normal" ? Un éventail de fillette ? Un éventail de poupée de mode ?
Chers
amis et visiteurs, c'est de vous que j'attends la réponse à cette
question comme aux précédentes, argumentée bien sûr et si possible
étayée par des photographies. Nous nous ferons un plaisir de publier
les unes et les autres, dans la mesure naturellement où elles nous
paraîtront de nature à faire progresser la discussion et les
connaissances.
P.H.B. Janvier 2013
En
juin 2013, la collectionneuse italienne Maita Golfieri, dont on peut
admirer les éventails sur le Net grâce à son site "I miei Ventagli"
(http://www.imieiventagli.it/) a attiré notre attention sur une feuille
qu'elle possède et date de 1620 (voir sa page "Domenichino").
Elle pense pouvoir faire un lien entre nos deux objets, malgré la
différence de scènes (mythologique d'un côté, de genre de
l'autre), de présentation et de datation (mais nous pouvons nous
tromper à cet égard !).
Du coup je me suis amusé
à composer un "éventail au rectangle" réunissant nos deux objets. Et il
faut reconnaître que ce mariage virtuel ne semble pas disharmonieux.
Voyez en les résultats ci-dessous :
Qu'en conclure ? Je me contente de poser la question... et d'attendre vos réponses, chers visiteurs !
Merci de nous écrire (voir page d'accueil), et ne pas oublier d'aller voir nos autres questions ! |