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Le jeu du Cou de l'Oie ou du Tir à l'Oie
Les éventails de la fin du XVIIe siècle, et singulièrement ceux que nous disons "mis au rectangle", et que les commissaires-priseurs appellent souvent "projets d'éventails", montrent souvent de savoureuses scènes populaires ou villageoises.

Parmi ceux que nous possédons dant ce genre, il en est un dont le 14 août 2014 nous avons trouvé la signification grâce à l'actualité et aux défenseurs acharnés des animaux, même morts. Nous n'entrerons pas dans ce débat, même si nous pensons qu'il convient d'abord de s'intéresser aux cruantés faites aux hommes vivants, et il n'en manque hélas pas. Pour en revenir aux faits, on trouvera quelques informations des deux côtés  sur la "toile", comme ici
http://www.allier-auvergne-tourisme.com/festivals-manifestations/terroir-et-artisanat/fete-du-cou-de-l-oie-528-1.html  ou  http://www.mesopinions.com/petition/animaux/fete-oie-honte-arfeuilles-allier/12310. (Ce sont les opposants).

Pour nous, nous nous contenterons de citer Paul Sébillot ( Sébillot, Paul, Le Folk-lore de la France, T III, La Faune et la Flore, E. Guilmoto, Paris,  1906, p. 247-248)   :
A Grez-Doiceau, dans le Brabant wallon, le second jour de la kermesse, une oie vivante  était suspendue à une corde qui réunissait les extrémités supérieures de deux longues perches fichées en terre. Un personnage juché sur un tréteau rappelait toutes les calamités dont la commune avait été frappée dans l'année, et accusait l'oie d'en  être la cause ; elle était aussi rendue responsable des faits et des farces qui étaient relatées par de grossiers dessins sur de grandes feuilles de papier, et finalement elle était condamnée à mort. Les membres de la jeunesse, à cheval, couraient l'oie; armés de pistolets chargés à blanc et bourrés de papier, ils passaient à la file, au galop ou au trot entre les deux perches et tiraient dans le cou de la victime expiatoire ; celui qui décrochait la tête  était proclamé vainqueur.

A Saint-Malo, jusqu'au milieu du siècle dernier, tous les ans, le dimanche crêpier, on se rendait sur la grève où une oie était attachée au haut d'un piquet. Chacun tirait sur cette cible vivante ; le vainqueur était celui qui lui traversait le cou. Dans la même ville, un autre jeu, celui du tire-jars, a existé jusque vers 1840 : Un jars était suspendu par les pattes à un arbre dans une avenue ; des hommes à cheval, rangés sur deux files après avoir tiré au sort, partaient tour  à tour  à un signal donné, passant au galop sous l'arbre ou était suspendu le jars, dont on devait arracher la tête avec la main, sans quitter la selle. (...) Le jeu du Cou de l'oie qui se pratique encore dans certaines localités d'Auvergne est sensiblement le même, sauf que depuis l'application de la loi Grammont, les bêtes sont déjà mortes. En Wallonie l'oie était naguère la victime d'un jeu cruel aujourd'hui interdit ; on l'attachait toute vivante par la tête, et au moyen de longues baguettes de fer qu'on lançait à distance, on s'efforçait de l'abattre en lui rompant le cou.

C'est, nous le craignons, ce jeu barbare que représente la feuille d'éventail au rectangle que nos montrons ci-dessous.

Sur notre éventail, c'est bien cette version, souvent dite du "Tir à l'Oie", qui semble pratiquée. Damien Baldin (Histoire des animaux domestiques, Le Seuil, Paris, 2014)  rappelle que dans ce jeu "cruel entre tous" l'oie était "suspendue et attachée par le cou (...) à hauteur d'homme (...). Cette oie "est aussi le prix qu'on décerne au vainqueur, c'est à dire à celui qui  a eu l'adresse de (...) faire tomber la pauvre bête en lui tranchant le cou" (note 140). Selon la même source, la Picardie "était renommée pour le tir à l'oie : on suspendait une oie à une grosse branche ; les concurrents, armés d'un long bâton ou d'un couteau, devaient d'un seul mouvement trancher le cou du volatile".


cou de l'oie Coll. C.P.H. B. Reproduction interdite. N.B. : Comme souvent, ce tableautin se trouve fendu en son milieu. En attendant une restauration physique, nous avons ici retouché l'image pour que cette fente perturbe moins la vision.


Un autre témoignage nous est donné  par Ch. BATAILLARD dans L'Oie réhabilitée, F. Le Blanc-Hardel, Caen, 1865 (Extrait des Mémoires de l'Académie impériale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen), disponible en ligne grâce à la Bibliothèque Municipale de Lisieux (http://www.bmlisieux.com/normandie/loie.htm) :
Il est un jeu barbare auquel j'ai vu souvent des gens du peuple s'exercer autrefois dans les guinguettes et les cabarets du boulevard Mont-Parnasse et de la Banlieue ; c'est ce qu'on appelait le tir à l'oie. On plaçait le cou d'une oie entre deux bâtons assez rapprochés pour empêcher la tête de passer, et le malheureux oiseau se trouvait ainsi suspendu. Les joueurs, dont chacun avait payé une certaine somme au gargotier, se plaçaient à 25 ou 30 pas, armés de longs bâtons qu'ils lançaient à la pauvre bête. Le corps de l'oiseau était préservé par des planches, et sa tête seule pouvait être atteinte. Pour gagner l'enjeu, il fallait que cette tête fût coupée par les bâtons auxquels elle servait de but et que l'oie, tout-à-fait décapitée tombât à terre. Il arrivait le plus souvent que l'oie était touchée vingt fois avant de mourir : plus elle était blessée, saignante, plus le jeu prenait d'intérêt ; les convulsions de son agonie faisaient le bonheur des joueurs, dont elles excitaient l'hilarité. Grâce à la loi Grammont, grâce à la Société protectrice des animaux qui veille à l'exécution de cette loi, le tir à l'oie est devenu rare. Il n'est cependant pas encore aboli partout, mais on se cache pour s'en amuser. Bêtes féroces, à face d'homme, qui vous livrez à ce plaisir avec vos enfants, poursuivez et vous recueillerez ce que vous aurez semé. Vos fils seront dignes de vous... ce bâton teint de sang d'un innocent animal se lèvera peut-être un jour sur votre tête et viendra figurer sur la table d'une Cour d'assises, parmi les pièces à conviction d'une accusation de parricide !...


jeu de l'oie en Europe

Mais les recherches montrent que ce jeu était pratiqué dans toute la France, avec des variantes. Ainsi il faisait partie de joutes nautiques largement pratiquées, la bête, comme dans les versions terrestres, étant tantôt pendue par le cou, tantôt par les pieds. Une version particulièrement sauvage existait à Suresnes selon  Alfred Franklin (La vie de Paris sous la Régence, Plon, Paris, 1897, p. 140) :
Un petit esquif, ancré au milieu du fleuve, a devant lui un câble attaché sur chacune des rives à un treuil qui permet de le laisser pendre ou de le tendre à volonté. Au milieu du câble, en face de  l'esquif, est attachée par les pieds une oie vivante, et les gens du bateau s'efforcent de lui arracher la téte avec leurs dents. Ils se suspendent au câble, luttant entre eux pour approcher de la bête. Mais tout à coup, la corde est détendue, puis aussitôt relevée. Les uns réussissent à s'y maintenir,tandis que d'autres lâchent prise et tombent à l'eau. Le bateau et les petites barques qui l'entourent sont fort proprement peintes. En 1713, l'électeur de Bavière assista à ce jeu.
On sait d'ailleurs que Louis XV assista à Strasbourg à ces cruelles réjouissances, qui à Paris avaient lieu sous les fenêtres du Louvre, comme le signale l'Abbé Jaubert dans son Dictionnaire des Arts et Métiers, quand il dit ( T I, 1773, p. 267) que les bateliers :
dans les grandes réjouissances, comme aux entrées solennelles des rois et des reines dans la ville de Paris, à leur mariage, à la naissance d'un dauphin & autres pareilles occasions, font sur la rivière de Seine, ordinairement devant les galeries du château du Louvre, ces joutes & ces jeux de l'oie qui valent aux vainqueurs quelques privilèges que le roi, s'il y est présent, ou les prévôt des marchands et échevins, en son nom, ont coutume de leur accorder.
On trouve sur le site du Folklore de l'Aube un éclairant document datant de 1970. C'est dans ce document que nous trouvons (p. 13), sous le titre de "L'Oie au bâton", la meilleure description de ce que montre notre éventail au rectangle :
A Villenauve. Voilà comment les choses s'y passaient en 1835. Une oie vivante était attachée par la tête et liée à un piquet de bois haut de quatre à cinq pieds. (...) Les tireurs se plaçaient à 15 ou 18 pas et devaient arrocher l'oie, c'est à dire l'abattre en lançant un bâton dans sa direction. A chaque coup il fallait verser deux liards ou un sol, selon la cherté de l'oie. Mais si personne ne l'avait pourfendue, elle retournait à son propriétaire (Vie en Champagne, janvier 1955)
Ce jeu se pratiquait en région parisienne, et y fut même interdit par Ordonnance de Police en 1726, comme nous l'apprend le Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton (http://www.crcb.org/). Un contributeur de ce site précise que " La coutume a existé et se maintien aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne etc. Voir sur Wikipédia anglais « goose pulling », en français une section « jeu de l’Oie » (avec références bibliographiques) et les sites en Néerlandais « gansrijden »".
On trouvera dans des travaux de l'Académie des Inscriptions et Belles lettres en 1940 des références encore plus savantes, et portant sur une période plus éloignée. Mais ces pratiques furent générales, car dans les années 1990 encore, une version de ce jeu était pratiquée par des concurrents à bicyclette à Tréogan, localité des Côtes d'Armor sise à une heure de route de ma ville natale ! Nous trouvons ailleurs (www.mrugala.net/) l'information que "Les jeunes gens s'élançaient à tour de rôle vers deux perches qui servaient à tendre en hauteur une corde où l'on avait fixé une oie par les pattes. Il fallait alors arracher le cou de l'animal pour l'offrir à l'élue de son coeur".  Qu'en pensez-vous, Mesdames et Mesdemoiselles ?
Ces jeux avec oies, coqs ou autre volatiles se rencontrent dans toute l'Europe, et sans doute ailleurs, la nature humaine étant la même partout. Leur apparente cruauté est à mettre en rapport avec le contexte socio-culturel. Nous trouvons diverses informations dans l'ouvrage de  Pietro Gorini Jeux et fêtes traditionnels de France et d'Europe (Gremese Editore, 1994). Nous nous permettons d'en extraire la page reproduite ci-dessus à gauche (p. 38).
Selon la même source,  c'était là une version plus populaire du jeu  du  Papegay  (ou papegault, ou perroquet). Rappelons qu'il s'agissait là (à l'arc ou à l'arbalète) de tirer sur un oiseau en bois peint fiché en haut d'une longue perche Auparavant chaque participant avait pris soin de déposer un présent ; le « joyau » du roi était attribué au vainqueur de la fête, qui durait à peu près huit jours, et en bien des endroits le vainqueur bénéficiait de considération, d'honneurs et même parfois d'exemptions fiscales pour l'année suivante !
Ce dernier jeu est assez souvent reproduit sur les éventails : nous en donnons ci-dessous un exemple.


Papegault
Coll. C.PH. B. Reproduction interdite

A peine avais-je mis en ligne cette petite page, que j'avais la surprise de voir qu'elle avait attiré l'attention de Craig Ashley Hanson (Associate Professor, Art and Art History, Calvin College, Michigan). Voyez ce qu'il écrit dans Enfilade, la toujours utile newsletter de HECAA (Historians of Eighteenth-Century Art & Architecture) :  http://enfilade18thc.com/2014/08/15/hand-fans-goose-necks-and-archery-contests/
Assurément, ce serait intéressant de faire un peu plus de recherche et de publication concernant ce sujet des éventails et des amusements de société durant le "long XVIIIe siècle". Pour l'instant, pour remercier Craig de son amabilité envers mon billet, je me contente d'ajouter une autre image, montrant le vainqueur d'un concours de Papegay sur un éventail brisé présumé du début  XVIIIe siècleP.H. B.

vainqueur

Coll. CPHB Reproduction interdite

NB. Je pense que la source est une estampe d'un des Mariette. Si quelqu'un en connait une originale, merci de me la signaler !


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