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Un écran anti-napoléonien (III)

an anti-Napoleon hand screen (III)

Certes j'entends bien les objections de ceux qui ne sont pas encore convaincus de la signification de cet écran. Pour eux, il s'agit d'une simple coïncidence. La propriétaire de cet écran avait bien le droit d'aimer à la fois les fables de La Fontaine et les représentations de bataille navale !

Illustration de J.F. Oudry (Edition Desaint et Saillant, 1755)

Appelons à notre rescousse des auteurs sérieux : nous trouvons ainsi, dans A. ACCARDO ( Initiation à la sociologie - L'illusionisme social - UNE LECTURE DE BOURDIEU - Nouvelle édition refondue, Le Mascaret - 52, rue des Menuts, Bordeaux) au chapitre II "La Légitimité" quelques phrases significatives dont celles-ci :

"Tous les agents sociaux sont contraints de s'en «faire accroire» à eux-mêmes en en faisant accroire aux autres. Si un imposteur est quelqu'un qui cherche à «faire illusion», alors le monde social est plein d'impostures de toute envergure. Non pas parce que tout le monde serait menteur, tricheur, hypocrite et fourbe, mais pour cette raison fondamentale que l'illusion (c'est-à-dire le fait d'entrer dans le jeu, de se prendre au jeu et d'en devenir le jouet) est inhérente au fonctionnement même des champs sociaux, et que les agents les plus sincères, ceux qui se prennent le plus au sérieux, sont encore ceux qui jouent le mieux le jeu considéré.

Mais enfin, objectera-t-on encore, les geais sont des geais, les paons sont des paons, et les geais qui se parent des plumes du paon sont des imposteurs ! Cela est peut-être vrai en zoologie. Mais du point de vue anthropologique il en va tout autrement : comme les propriétés des agents n'existent et n'agissent qu'autant qu'elles sont reconnues et qu'elles prennent sens dans la représentation donnée et reçue, il n'y a ni geai ni paon en soi et par soi. On est toujours objectivement le geai d'un plus paon et le paon d'un plus geai que soi, et nul ne saurait, en toute rigueur, être sûr de savoir qui il est, où il se situe, à quelle catégorie il appartient si les institutions n'étaient là pour trancher dans le vif, nommer, catégoriser, hiérarchiser et proclamer officiellement qui sont les geais et qui sont les paons, transformant la représentation des uns en imposture illégitime et la représentation des autres en imposture légitime c'est-à-dire en imposture reconnue, donc méconnue, déniée et transfigurée."


Eventail publicitaire pour le champagne Deutz & Geldermann - s.b.g. H. Vallée - Imp. Plantet à Ay
Coll. CPHB

Thomasse

Eventail "Paon" de Thomasse.

Coll. CPHB

Quittons ce cours de sociologie : mais admettons que les références à la fable sont dans la culture française trop constantes pour qu'on les trouve hors d'un contexte d'usurpation quelconque.

Mais pourquoi penser à Napoléon ?

C'est que la fable en question a été utilisée à plusieurs reprises dans la satire ou la caricature contre Napoléon.

Citons un texte toujours sérieux, extrait de l'introduction à un colloque qui eût lieu en 1996.

"Allégorique par nécessité, la caricature est souvent difficile à décrypter. Toutefois, ce que l'on nomme allégorie dans ce cas spécifique n'a souvent rien à voir avec l'allégorie "artistique". C’est là qu’intervient la nécessaire différenciation qu’il convient d’opérer entre la véritable caricature, déformatrice, et la gravure satirique, plus perfide encore, car moins directe. La première agit autant sur la forme que sur le fond, tandis que la seconde se contente surtout d’intervenir par le texte. Par là, elle pose la question des rapports du texte et de l’image, que nous verrons plus loin. Si certaines planches s'inspirent d'oeuvres célèbres proprement allégoriques (Le Jugement Dernier d'après Michel-Ange ou La Justice et la Vengeance divines poursuivant le Crime d'après Prud'hon), c'est aussi qu'elles étaient censés s'adresser à un public d'aristocrates cultivés. Mais celles-ci sont loin de compter parmi les plus nombreuses, et l'allégorie telle que l'entend la caricature concerne plutôt le langage et la culture populaires. Comme l'a bien vu C. Clerc (5), le théâtre de boulevard (la Commedia dell' Arte en particulier), la ménagerie de cirque, les jeux populaires (toton, corde à sauter, jeu de volant, émigrette - jeu aristocratique par ailleurs - sont utilisés en priorité. Mais la culture populaire, ce sont aussi les calembours et jeux de mots (Colin court / Caulaincourt), ainsi que les références à une littérature de colportage, parfois d'origine "sérieuse". C'est le cas en particulier des images de Robinson Crusoë ou de Gulliver, respectivement inspirés de Daniel Defoë et de Jonathan Swift, ou des fables de La Fontaine (Le geai dépouillé de ses plumes empruntées au roi)...."

Jérémie Benoît (ancien conservateur au Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, conservateur au Musée national du château de Versailles,chargé plus particulièrement des domaines et collections de Trianon) http://www.napoleon.org/fr/hors_serie/caricatures/intro.html

Amis lecteurs (permettez-moi de vous appeler ainsi, car votre persévérance montre bien que vous êtes et lecteurs et amis !!!), puisque vous nous avez suivi jusqu'ici, vous méritez bien de contempler quelques images. Au fait, d'où viennent-elles ? Sur toute la période, elles sont souvent produites par la Grande Bretagne, parfois en imitant une production continentale, comme dans certaines feuilles de la Guerre d'Espagne, que vous verrez peut-être ici quelque jour. Mais elles viennent aussi, avec plus de risques pour les auteurs, de la production locale.

Nous n'en avons pas d'exemple d'usage de cette fable en 1805 : mais l'on sait que cette année-là fut, avec 1804, le temps du réveil des royalistes, sévèrement poursuivis et qui restèrent plus calmes (voire se rallièrent !) avant que les désastres de la fin de l'Empire, en Espagne et Russie d'abord, ne leur redonne du tonus. Notre écran pourrait d'ailleurs dater tout aussi bien de 1813 ou 1814.

En tout cas, c'est de cette époque que datent deux caricatures fort intéressantes et jumelles que vous pouvez découvrir ci-dessous (cliquer sur les photos) .

source des images : Brown University Library - Providence RI

http://dl.lib.brown.edu/napoleon/index.html

La comparaison de ces deux gravures nous parait particulièrement éclairante : on y voit que
- la fable de La Fontaine est utilisée par la satire contre Napoléon ;
- elle est mélangée à celles de Phèdre ou d’Esope dont elle s’inspirait ;
- bien que familière à tout public cultivé, elle fait l’objet d’une mauvaise interprétation par le graveur, ou plutôt par le coloriste, qui (suivi par le commentateur) transforme des plumes manifestement de paon en « plumes d’autruches » !!!

Permettez nous une parenthèse. Ces mauvaises interprétations sont en elles-mêmes très intéressantes. On les trouve fréquemment dans les éventails : éventails européens de « chinoiserie » (nous en avons avec caractères chinois de fantaisie), éventails orientaux « Compagnie des Indes » où le copiste interprète mal la gravure qu’on lui demande de reproduire. Mais on les trouve aussi dans les éventails de propagande utilisés par le Royaume-Uni dans sa lutte contre Napoléon, en particulier dans un exemple sur lequel nous reviendrons peut-être un jour… mais dont nous vous donnons tout de suite par ce lien un aperçu.

Ajoutons que nous possédons deux autres écrans comportant des fables de La Fontaine imprimées de même façon. Il s'agit de  Malheureusement les gravures figurant côté face des écrans ne semblent pas d'origine (format rectagulaire et non rond) et nous ne voyons en tout cas pas de lien entre texte et gravure. Nous vous donnons cependant le texte de ces fables : vous constaterez que là aussi, une interprétation satirique serait aisée. Toutes ces gravures font partie d'une série manifestement plus importante qui est évoquée par Nathalie Rizzoni dans un article consacré aux écrans et Jean de La Fontaine : nous en parlons à la page où nous montrons les deux écrans de "La lice et sa compagne" et "Le loup et la cigogne".


CONCLUSION

Vous avons-nous convaincus, amis lecteurs ? Nous sommes à peu près assurés que l'écran que nous vous présentons ici était bien un témoignage d'une propagande très vraisemblablement royaliste, mais en tout cas anti-napoléonienne, s'appuyant sur une fable de La Fontaine largement "à double sens" à cette époque comme de nos jours (à l'Assemblée Nationale française, un ministre l'utilisait encore avant les vacances de 2005...), et l'illustrant par un combat naval faisant référence aux premiers déboires de l'"Usurpateur". Cet écran détournait peut-être, à des fins de propagande, l'une des estampes de la série -manifestement importante- dédiée aux Fables de La Fontaine. Il serait évidemment intéressant de s'assurer que d'autres écrans ne jouent pas dans le registre de la caricature par un dialogue subtil entre leurs deux faces.

Mais revenons à notre geai, et à l'hypothèse que nous formulons. Dans quel contexte précis cet écran a-t-il été émis ? A notre sens, la répression policière anti-royaliste qui marqua la création de l'Empire n'a pu qu'amener à la fois un sursaut contre celui qui "prenait la place du Roi", et en même temps la crainte d'être, après la tourmente révolutionnaire, un martyr inutile de plus. Le caractère ambigu de l'objet permettait de persifler dans les salons en montrant son esprit d'opposition... sans cependant donner matière à poursuites pénales. A moins, bien sûr (et pourquoi pas ?) que l'objet soit postérieur d'une dizaine d'années et accompagne le retour des Bourbons sur le trône...

En tout cas nous sommes en présence, pensons-nous, d'un objet royaliste, subtil, cultivé, audacieux mais pas téméraire. Qui dira que tout ceci est incompatible ?

 

 

Comme d'habitude, nous vous remercions de vos remarques, suggestions, critiques, documents...

 

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